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Le poète Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804-1869), né à Boulogne, quelque temps étudiant en médecine, fut l'un des rédacteurs du Globe et donc un des promoteurs du romantisme libéral. Son amitié avec Hugo en 1827 est comme le symbole de la double ambition d'art et de liberté du romantisme à cette date. Lui-même, à côté de ses premiers travaux d'histoire littéraire (Tableau de la poésie française au XVIème siècle, 1828), se croit poète et publie, en 1829, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme, où il trouve une voie assez personnelle dans la poésie familière, parfois un peu plate, mais originale par l'intimisme de la notation et la confidence volée. Il annonce ainsi François Coppée et parfois un certain Baudelaire ; ils pressent même les subtilités du symbolisme. Le romancier Sainte-Beuve traverse ensuite une période de crise : la foi chrétienne l'intéresse, mais il n'arrive pas à l'adopter pour son compte ; le public ne comprend guère sa poésie ; une liaison avec la femme de Victor Hugo le brouille avec celui-ci ; lui-même en garde un sentiment de malaise et de trouble. C'est cette impression d'échec qu'il transpose sur le plan romanesque dans Volupté (1834), oeuvre qui mélange curieusement la lucidité de l'analyse et la poésie d'un style qui correspond aux lents mouvements de la vie intérieure. Le critique Volupté n'a guère plus d'écho dans le public que n'en avaient eu les poésies de Sainte-Beuve. Il se résigne donc à n'être qu'un critique. Sa méthode pousse encore plus loin le relativisme qu'avait amorcé Mme de Staël : relative, en effet, une oeuvre l'est d'abord par rapport à son auteur et la critique doit commencer par le portrait et la biographie de celui-ci, d'où le titre de Portraits littéraires (1836-1839), de Portraits contemporains (1846) qu'il donne à certaines de ses études (et à l'occasion Sainte-Beuve appliquera à lui-même son talent de portraitiste !). Pour lui une oeuvre s'explique avant tout par un homme : " Tel arbre, tel fruit ", dit-il. Mais cet homme, il ne s'agit pas de l'appréhender superficiellement ; une double démarche intellectuelle doit aider à en faire " le siège ". D'une part, une enquête objective et exhaustive, armée de tous les documents et de tous les procédés de la plus sérieuse critique historique. D'autre part, une sorte de sympathie intuitive par laquelle on se met à l'unisson des préoccupations profondes d'un artiste. Cette méthode, Sainte-Beuve l'applique non seulement à des individus, mais encore à des groupes littéraires et humains, comme dans son Port-Royal (1840-1859) et dans son Chateaubriand et son groupe littéraire (1861), résultant de cours professés à Lausanne, à Berne et à Liège. Toutefois il aime beaucoup aussi les aperçus rapides et souvent décisifs que permet le feuilleton hebdomadaire : il a réuni sous le titre Causeries du Lundi (1851-1862) et Nouveaux Lundis (1863-1870) ses articles critiques du Constitutionnel, du Moniteur, et du Temps. Il y assouplit du reste fréquemment sa méthode, témoigne d'un grand respect pour le goût classique ou inversement se demande ce qu'il peut y avoir de valable dans le " scientisme " et le " positivisme " de la génération d'après 1848. C'est sans doute sous ces nouvelles influences, en particulier celle de Taine, qu'il en arrive à parler d'" histoire naturelle littéraire ", qu'il en vient à se considérer comme un " naturaliste des esprits " classant ceux-ci en espèces. Pourtant Sainte-Beuve reste jusqu’au bout très indépendant, entend laisser la première place au plaisir du lecteur, s'oppose à Taine lorsque le déterminisme scientifique de ce dernier lui semble masquer le rôle de l'individualité créatrice et, surtout, dans des cahiers intimes, Mes poisons, publiés en 1926, révèle l'homme très complexe qu'il fut, volontiers ironique, un peu aigre à l'égard des écrivains ses contemporains, mais gardant toujours ses distances et une pleine liberté de jugement.
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