• Choisissez un dossier
  • «Le Théâtre Politique»

    par Aurore FALSE

     

    I - Qu'est-ce que le théâtre politique ?

    Art public par excellence, le théâtre, qu'il le veuille ou non, exerce une fonction publique. Mais la catégorie même du théâtre politique ne remonte guère qu'au début des grands bouleversements culturels du vingtième siècle.

    Le théâtre politique ne se confond pas avec des contenus idéologiques. Il exige aussi un bouleversement des formes théâtrales et c'est à ce titre qu'il prend place dans l'évolution de la mise en scène. Le metteur en scène allemand Erwin Piscator est parmi les premiers à vouloir placer le théâtre au service des mouvements révolutionnaires.

    Puisque l'adjectif « politique » est dérivé d'un substantif grec, polis, désignant la cité, tout théâtre s'inscrivant au sein de la collectivité est forcément politique.

    Le théâtre politique est lié au théâtre épique, qui, lui, est fondé sur la tension dramatique, le conflit, la progression régulière de l'action. Le théâtre épique entreprend de retrouver et de souligner l'intervention d'un narrateur, c'est-à-dire d'un poit de vue sur la fable et sur la mise en scène. Pour cela, il fait appel aux talents du compositeur, du dramaturge, du fabuleur, du metteur en scène, de l'acteur bâtissant son rôle, discours après discours, geste après geste. Pas plus qu'il n'existe de théâtre purement dramatique et « émotionnel », il n'y a pas de théâtre épique pur. Ceux qui donnèrent au théâtre épique son nom sont Brecht et avant lui Piscator, dans les années 1920, car le style de jeu dépassait la dramaturgie classique.


    II - A quoi sert le théâtre politique ?

    Le théâtre politique apparaît dans certains pays pour exprimer la contestation. Il y a eu des précurseurs avant le XXème siècle comme dans la tragédie hellénique du Vème siècle avant Jésus Christ, ainsi que Shakespeare au XVIIème siècle. De même, « Le Mariage de Figaro » provoque des remous dans le Paris aristocratique de l'époque. La bourgeoisie européenne en voie d'émancipation saura faire du théâtre une arme avec Diderot, Lassigny.

    Au XXème siècle, c'est surtout en Europe de l'Est que le théâtre politique est le plus important, car il apparaît dans les pays opprimés, contestataires. Dans cette Europe bourgeoise entre deux siècles, le Norvégien Ilsen et l'Irlandais Shaw tiennent aussi leur place en proposant un théâtre critique, soumettant les problèmes à discussion.

    C'est en Union Soviétique et en Allemagne sous la République de Weimar que le théâtre connapit son plus haut degré de politisation grâce aux groupes amateurs, aux milieux de travail et aux mouvements de jeunesse qui élaborent un répertoire au service de la révolution de l'héritage actuel, le réemploi des traditions populaires, la promotion d'un répertoire en prise sur les transformations sociales et mentales, ainsi que des pratiques théâtrales à travers des spectacles de masse, les journaux vivants. Quant à la formule même du « théâtre politique », elle est due à Piscator, qui résume sous ce titre, dans un ouvrage de 1929, ses réalisations de metteur en scène prolétarien-révolutionnaire à Berlin, sous la république de Weimar. Il s'agit pour lui d'ouvrir le théâtre à l'histoire en marche, d'en tirer des leçons propres à nourrir la conviction et à stimuler l'engagement.

    Le « théâtre d'actualité » (Zeittheater) et le théâtre épique de Brecht contribuent de leur côté à la politisation de la scène dans l'Allemagne des années 1920, le premier en s'appuyant sur le reportage et le document, le second en développant une stratégie de la distanciel . Inspiré tant par par la revue rouge de Piscator que par l'exemple des « blouses bleues » soviétiques, un théâtre de propagande se dessine en Allemagne, mais aussi dans une bonne partie de l'Europe, et jusqu'au Japon, essentiellement sous l'impulsion des partis communistes : des troupes constituées de travailleurs interviennent dans les réunions politiques, dans les lieux publics, aux portes des entreprises, avec des « scènes courtes » élaborées collectivement à partir de l'expérience ouvrière pour animer autrement la lutte des classes. Le nazisme allemand et le fascisme italien avant lui ont également compris que le théâtre était un enjeu : un moyen de politiser l'art entre autre dans un sens raciste et sexiste tout en esthétisant la politique.

    En Espagne où n'avait pas manqué depuis la fin du XIXème siècle des tentatives pour créer un théâtre de peuple, se développe de 1936 à 1939, dans la résistance à l'agression fraquiste, un théâtre d'urgence, voire de guérilla.

    Aux Etats-Unis, c'est l'Etat roosveltien du New Deal qui subventionne de 1935 à 1939 le « Federal Theater Project », destiné à enrayer le chômage des gens de théâtre et plus généralement des intellectuels. Cette entreprise aboutit entre autres à des pratiques qui dénoncent les abus sociaux : reviennent alors les journaux vivants. En 1939, une fois la crise surmontée, l'expérience fut abandonnée, certains des participants étant maintenant accusés de communisme et de menées anti-américaines.

    En Union Soviétique, le « réalisme social » instauré sous Staline dans son « Etat du peuple tout entier », donc sans « contradictions antagonistes », annule la notion de théâtre politique avec ce qu'elle recèle de charge critique et d'alternative possible : ce qui reste de l'agit propagande est mis au service de la mobilisation économique.

    En France, le Front Populaire propose une démocratisation de la culture, et non une révolution de celle-ci. Les représentations du 14 juillet et de Danton de Romain Rolland, la création de naissance d'une cité de Jean Richard Bloch, paraissent faire partie des rares tributs payés à l'actualité politique, ce répertoire excédant à peine les limites du théâtre populaire selon Gémier, tandis que le groupe Octobre se dissout à la fin de l'année 1936, après avoir survécu à la disparition de la FTOF (Fédération du Théâtre Ouvrier de France). Le groupe octobre était la seule troupe française d'agit propagande, ce terme ayant été formé dès 1917 en URSS et également employé en Allemagne et aux Etats Unis. En URSS, ces comédiens d'Etat sont des acteurs semi-professionnels. Ils s'efforcent de sensibiliser la population à une situation politique ou sociale par des « spectacles-trous ». Il y a aussi des interventions de rue lors des meetings et fêtes populaires, ou encore lors de grèves. C'est cette dernière activité qui a rendu célèbre le Cervantès, qui est joué dans les grands magasins parisiens « occupés ». Le groupe octobre avait obtenu, en 1933, le premier prix du Festival International de théâtre Ouvrier à Moscou avec « La Bataille de Fontenoy » de Jacques Prévert, et, à vrai dire, c'est la venue de ce dernier qui a cimenté et fait vivre l'équipe. Cette équipe comptera dans ses rangs : Buissières, Jacques Bernard Brunius, puis Maurice Baquet en 1934, Roger Blain et J-L Barrault en 1936.

    Le théâtre politique a un impact important dans la première moitié du 20ème siècle, ainsi que lors de la décolonisation, lors de certaines guerres comme celle du Viêt-nam, ou de l'oppression présente lors de la seconde moitié du 20ème siècle.

    Après la Seconde Guerre Mondiale, le théâtre allait s'engager plus directement sur le terrain politique. En France, Jean Genet évoqua les déchirements de la guerre d'Algérie dans les Paravents. En Angleterre, la pièce de John Osbonne, « La Paix du dimanche », de 1956, fut prise comme emblème par « les jeunes hommes en colère » des années 1950.

    Aux Etats-Unis, le Living Theater, fondé par Julian Beck et Judith Malina, voulut faire du théâtre un pôle de contestation, foyer de la non-culture, tout en définissant de nouvelles règles dramatiques.

    En Allemagne, sous l'influence de Brecht, de nombreux dramaturges écrivaient des pièces documentaires, se fondant sur des événements historiques, et en posant la question des devoirs moraux et sociaux de l'individu. C'est le cas dans « Le Vicaire » de Rolf Kochhuth (1963), qui traite du silence du pape Pie XII durant la Seconde Guerre Mondiale.


    III - Les grands meneurs du théâtre politique.

    Marx Reinhardt va former Erwin Piscator, qui est né le 17 décembre 1893 à Ulm et qui est le véritable père du théâtre politique. Erwin Piscator est un metteur en scène et un directeur de théâtre allemand, qui, après s'être formé au métier de comédien et de metteur en scène, fonde en 1919 la Compagnie de la Tribune, afin d'y présenter des pièces laissant transparaître l'influence de l'expressionnisme et du travail engagé, mené par le théâtre prolétarien.

    Ce dernier, fondé par Karl Heinz Martin, fut dirigé par Piscator à partir de 1920. Celui-ci tente dans l'Allemagne du chômage et de l'inflation des années vingt un théâtre dont les multiples effets déboucheraient sur une prise de conscience de la vie sociale et politique. C'est le marxisme qui le guide. Pour cela, il multiplie les techniques : haut-parleurs, ombres chinoises, scènes tournantes, projections fixes (de slogans, de documents divers), séquences cinématographiques.

    De 1919 à la prise de pouvoir de Hitler, Piscator dirigea et équipa cinq salles. Dans différents théâtres berlinois, mais surtout à la Volksbühme qu'il dirigea de 1924 à 1927, puis au Theater am Nollendorfplatz (1927-1928), Piscator et ses collaborateurs, au nombre desquels figurait l'auteur dramatique Bertolt Brecht, inaugurèrent l'utilisation de scènes simultanées et l'insertion de projections cinématographiques dans les pièces. Le meilleur exemple du genre reste la mise en scène de « Raspoutine » en 1927.

    Piscator concevait le théâtre comme un outil permettant d'enseigner l'histoire et le politique, comme il l'explique dans son livre « Le théâtre politique » de 1929. Cet auteur se méfie des auteurs dramatiques, son côté démiurge s'accomode mieux des adaptations de romans. Il préconise d'ailleurs déjà le théâtre épique, c'est-à-dire narratif.

    De 1931 à 1936, Piscator vécut et travailla en Union Soviétique, puis il résida en France jusqu'en 1939. Il partit ensuite pour les Etats-Unis avant de s'installer en Allemagne de l'Ouest en 1951, à la différence de Brecht et d'autres qui préférèrent l'Allemagne de l'Est. De 1962 à 1966, il dirigea la Frei Volksbuhne à Berlin Ouest, mettant en scène la première des deux pièces contreversées, « Le Vicaire » (1963) de Rolf Kochhuth et « L'Instruction » (1965) de Peter Weiss. Piscator influença nombre de metteurs en scène, dont Joan Littlewood, la fondatrice du Théâtre Workshop en Angleterre. Il s'éteignit à Sternberg, le 30 mars 1966. Erwim Piscator cherchait à traduire sur scène le destin des masses en prétendant que « le facteur héroïque » de la nouvelle dramaturgie n'est plus l'individu avec son destin personnel et particulier.

    Jean-Paul Sartre (1905-1980) est aussi un auteur du théâtre politique. C'est un philosophe, un dramaturge, un romancier et un journaliste politique français, qui fut une personnalité majeure de la vie intellectuelle française de la seconde moitié du vingtième siècle.

    Sartre fut mobilisé en 1939, fait prisonnier en 1940 et libéré la même année. Il participa à la résistance en fondant d'une part Socialisme et Liberté, qui n'eut qu'une existence brève, et d'autre part en étant membre du Comité des Ecrivains.

    La publication de « L'Etre » et « Le Néant » en 1943, ainsi que la représentation de deux de ses pièces, « Les Mouches » en 1943 et « Huis Clos » en 1944, firent de lui un des grands représentants de la philosophie, de la liberté et des idées de la résistance.

    A la fin de la guerre, Sartre abandonna l'enseignement et fonda Les Temps Modernes en 1945, qui deviendra une revue importante de la gauche intellectuelle, son contenu restant essentiellement politique.

    Jean Anouilh, avec « Antigone », a aussi voulu transmettre un message sous l'occupation. D'ailleurs, cette pièce, « Antigone », a toujours voulu transmettre un message, même au temps de l'Antiquité.

    De même, Alfred Jarry, avec « Ubu Roi », a également voulu transmettre un message. En 1896, le metteur en scène symboliste Lugné-Poe montait cette pièce, farce provocante et excentrique, libre fantaisie sur le thème de Macbeth. La pièce mettait en scène des personnages-marionnettes dans un monde improbable et à travers des dialogues volontiers obscènes. Sa valeur repose sur son pouvoir de transgression, par rapport à toutes les normes et à tous les tabous qui pesaient alors sur le théâtre. « Ubu Roi » allait être l'une des principales sources d'inspiration des futurs avant-gardistes, et notamment du théâtre de l'absurde des années 1950.

    Brecht (1898-1956) travailla, lui, avec Piscator. Il était originaire d'Ausbourg, ville bavaroise. Révolté contre l'ordre moral, l'armée, la religion, les théories politiques et les philosophies fondées sur la volonté de puissance, Brecht donne dans un anarchisme qui inspire ses premières oeuvres : « Baal », « Dans l'épaisseur des villes », « Tambours dans la nuit ». En 1922, à Berlin, où fermentent la politique, la révolution, la littérature, la misère, la richesse et la prostitution, Brecht commencera sa véritable carrière : en douze ans, avec une douzaine de pièces parmi lesquelles « Homme pour Homme », « La Vie d'Edouard II d'Angleterre », « Mahagonny », et surtout « L'Opéra des Quat'sous » en 1928, il conquiert une certaine renommée.

    Mais les événements politiques à partir de la prise de pouvoir de Hitler en 1933 rendent l'existence invivable aux intellectuels de gauche. Brecht s'exile, et désormais ses pièces « décrivent » et analysent le phénomène nazi. En 1938 est écrit « Mère courage », et en 1945 « Le Cercle de Craie caucasien ». Après des années difficiles aux Etats-Unis où l'on se méfie de ce « communiste », et où le succès ne lui vient qu'après son départ avec « La Vie de Galilée », Brecht regagne l'Allemagne, qui réagit vivement à la représentation en 1952 de « La Bonne Ame de Sé-Tchouan » (1940). Il choisira de vivre à l'Est avec sa femme, la grande actrice Hélène Weigel.

    Tout en gardant sa liberté intellectuelle par rapport au communisme officiel, il donnera des ?uvres d'inspiration marxiste souvent écrites bien antérieurement. Pédagogue et moraliste, Brecht, ayant découvert contre l'actuelle misère sociale et politique l'arme qui sauvera ses contemporains, se détourne de la gratuité du jeu littéraire et cherche à « provoquer » la pensée. Le danger de toute provocation est de rester elle-même gratuite : l'intérêt du message promis doit donc combler l'attente suscitée. Ses thèmes de prédilection sont les problèmes de la propriété, de l'argent, de la guerre, et de l'hitlérisme. Par ailleurs, des pièces de Brecht sont jouées dans de petits cercles de jeunes, semblables au Groupe Octobre en France. Le théâtre de Brecht rejette toute psychologie : il nous montre des situations historiques, sociales, à travers ses personnages. Chaque pièce consiste en la narration d'une phase de l'épopée humaine, en la démonstration des mécanismes d'une structure sociale. L'acteur, l'objet composant le décor, ne sont que des signes avec lesquels l'auteur raconte son histoire. Ils n'existent pas, ils signifient. On ne doit pas s'attacher à eux, mais au réel qu'ils dénoncent et annoncent.

    En Italie, Dario Fo représente le théâtre satirique, de 1959 à 1967. C'est la période « bourgeoise » de Fo : il écrit et interprète sept comédies, destinées au théâtre « bourgeois », mais dans lesquelles s'affirme la volonté de pousser plus loin l'exploration de la culture populaire, et de promouvoir, grâce à l'ironie et au grotesque, une critique à la fois sociale et politique de l'époque. Fo dénonce, par le biais de la satire : les industriels, le clergé, la mafia, et parle des problèmes quotidiens dans la vie des masses. Les pièces de Fo sont donc en rapport direct avec ce qui se passe dans la société.

    Dans le contexte international et national de 1968, Dario Fo constate d'autre part qu'être un artiste « ami du peuple » ne correspond plus à ce qu'il cherche. Il décide de devenir un artiste « au service du mouvement révolutionnaire prolétarien », un « jongleur du peuple au milieu du peuple, dans les quartiers, dans les usines occupées, sur les places, dans les marchés couverts, dans les écoles », et de rompre avec le théâtre institutionnalisé. La révolution chinoise, les événements de 1968, les mouvements de lutte en Italie ont aussi amené Dario Fo, Franca Rame et quelques-uns de leurs camarades à sortir des circuits théâtraux habituels. Tous les membres de la compagnie n'étant pas d'accord avec la nouvelle orientation, la compagnie est dissoute. Dario Fo et Franca Rame créent l'association Nuovo Scena, qui se déclare « au service des forces révolutionnaires susceptibles de porter au pouvoir la classe ouvrière ». Nuovo Scena décide de présenter ses spectacles dans le circuit dit « alternatif » de l'Association Récréative et Culturelle Italienne (ARCI). Ce circuit alternatif s'insère dans les luttes politiques des partis de gauche et en particulier du Parti Communiste Italien.


    IV - Conclusion.

    Le théâtre politique, depuis sa création, s'est étendu vers d'autres continents (américains, asiatiques,?). Au début, c'est surtout en Europe que les pièces politiques sont importantes, mais dans tous les pays où la contestation est présente, ainsi que l'oppression, le théâtre politique apparaît peu à peu. Ce théâtre politique a permis de dire, et permet encore de dire ce qui ne va pas dans le pays. Il a été et est encore très important au XXème siècle. Il a évolué depuis sa création, car chaque acteur, auteur, metteur en scène a ajouté sa touche personnelle au théâtre. Celui-ci sert donc la société et les hommes.

     

    Haut de page

    Index
    Page d'acceuil